La transformation d'un village rural depuis 150 ans
L. MEUNIER, R. PAULET, C. RENAUDIN
Jusqu'à la veille de la Révolution, les habitants de Saint-Marceau, un village situé en pleins champs à 7 kilomètres de Mézières-Charleville et à une vingtaine de Sedan, vivaient et travaillaient pour leur quasi-totalité sur place. Et la communauté villageoise trouvait dans son sein, et éventuellement dans les villages limitrophes, les artisans nécessaires pour sa vie matérielle et ses besoins généraux. Les relations avec la ville étaient quasi inexistantes de la part des habitants. Jusqu'au milieu du XVIIe siècle on ne compte que deux mariages avec des citadins de Sedan et de Mézières. Et les tisserands et surtout les cloutiers qui se développent au XVIIe siècle travaillaient à domicile, les commerçants cloutiers, dont il semble qu'il n'y ait eu aux diverses époques qu'un seul représentant à Saint-Marceau, les alimentant en matière première et venant chercher le produit de leur travail.
Or, en 1990, plus de 80 % des 413 habitants travaillent en dehors du village.
On connaît les raisons générales de cette évolution qui. à des degrés divers, a touché la quasi-totalité des communes rurales en dehors des zones de montagne. Il a paru intéressant cependant d'étudier à propos de l'une d'entre elles les étapes de cette transformation et d'examiner en particulier si on peut étendre à un village qui a conservé son aspect champêtre la qualification de commune-dortoir qu'on applique à des banlieues de grandes villes. La comparaison du cadastre de 1840 avec la situation actuelle permet de jalonner cette évolution.
Au milieu du XIXe siècle la relation entre l'habitat et le travail s'est déjà un peu modifiée. Et surtout on voit apparaître les signes de la dissociation future. Bien qu'il soit difficile de discerner sur les documents de l'époque l'activité principale des journaliers, cette partie de la population qui vit de petits boulots au gré des occasions, on peut estimer qu'à peine un quart des 350 habitants dépend encore essentiellement de l'agriculture. Il y a 5 familles, ou plus exactement 5 groupes de familles de cultivateurs, qui exploitent avec leurs terres, celles des "propriétaires" et des "rentiers", parfois étrangers au village (car les familles émigrées gardent volontiers leur héritage en terres et les cultivateurs préfèrent arrondir leur exploitation par fermage; l'achat de terres étant d'ailleurs peu compatible avec une économie agricole de profits modestes et le caractère paysan qui, sachant les aléas de la culture, ne touche pas volontiers à son capital). Le groupe des manouvriers, ces petits propriétaires dont les cultivateurs labourent les lopins de terres en échange de leurs services, est en diminution régulière au profit des cloutiers.
Ceux-ci représentent alors un peu moins du tiers de la population. Mais ils n'ont pas les mêmes conditions de travail qu'au XVII siècle. On sait que ce sont les Liégeois, chassés de leur ville saccagée par Charles le Téméraire en 1468 et réfugiés à Mézières et dans les villages environnants, qui apportèrent leur savoir-faire dans la fabrication des clous forgés. Un signe de cette émigration se trouve dans le nom d'une famille de Saint-Marceau : Dehut, "celui qui vient de Huy", petit village des environs de Liège, dont le nom se prononce Hû en wallon. Ce qui était travail à domicile va être modifié par l'apparition des machines à clous. Il est difficile de se rendre compte de la date à laquelle l'ancien moulin à grains, puis moulin à foulon de Saint-Marceau, situé sur la Vence à 1 km du centre du village, va se transformer en clouterie. Quoiqu'il en soit, grâce aux machines l'usine se développe. Elle obtint le monopole des clous pour bateaux à coques en bois (clous "Carvelle") et fournissait régulièrement les chantiers navals de Glasgow, Oslo et Rangoon en particulier. Peu à peu d'autres fabrications furent entreprises : crampons de rails, fers à bœufs, crochets de descentes d'eau... En 1885 elle employait 258 ouvriers, dont 156 pour la seule clouterie. Nous verrons la conséquence de ce développement sur la vie du village : au recensement de 1872, 55 de ses habitants sont des ouvriers cloutiers d'origine belge.
Dans le groupe des artisans, commerçants locaux, agents communaux qui représentent moins de 10 % de la population, on est surpris de constater que pour 350 habitants de 90 maisons, il y avait six maçons, un plafonnier et un carrier. Sans doute il devait arriver à ces artisans de travailler dans les villages voisins et les méthodes de construction n'avaient aucun rapport avec les techniques actuelles. Notons encore le fait avant d'en suggérer une explication.
Les rentiers et propriétaires, nos retraités actuels, formaient avec leurs conjoints 13 personnes, soit 2,9% de la population. La durée de la vie était en moyenne beaucoup plus courte que maintenant.
Restent les ouvriers travaillant normalement hors du village. Les documents nous donnent seulement des précisions sur 7 ferronniers et 1 poudrier, mais il semble qu'ils aient représenté un peu plus du quart de la population active. C'étaient pour la plupart des gens attirés par les usines métallurgiques de la vallée de la Vence, les successeurs des armuriers, foreurs de canons, limeurs de baïonnettes qui travaillèrent à l'annexe de Mohon de la Manufacture d'armes de Charleville jusqu'à la cessation d'activité de cette dernière en 1827. La ferronnerie, terme sous lequel on désigne la fabrication des charnières, verrous, fers à repasser, chenets, crémones, les mille petits objets usuels, constituait une spécialité ardennaise.
L'usine de Saint-Marceau, en 1840, ne participait pas encore à cette industrie. Mais faut-il classer dans des catégories séparées les cloutiers qui y travaillaient et le poudrier qui devait faire un petit kilomètre de plus pour atteindre la poudrerie de Saint-Ponce, juste après la limite de la commune ? Même les 4 km nécessaires pour gagner le Moulin Leblanc à Mohon, qui offrait des emplois plus nombreux et variés, ne représentaient pas pour les habitants de Saint-Marceau un obstacle supplémentaire important à une époque où la marche était naturelle.
Le maintien d'une classification séparée ne se justifie pas par la situation du lieu de travail, mais par les différences dans le mode d'habitat. Après tout l'habitant d'une ville met parfois plus de temps à gagner son bureau ou son atelier que le villageois qui va travailler dans la zone industrielle établie à la périphérie de la ville voisine. Et pour comprendre l'évolution de Saint-Marceau, il ne faut pas tant examiner avec quelle rapidité ses habitants ont dû aller travailler ailleurs, que comment ils ont adapté leur habitat et leur mode de vie à cette dissociation progressive entre l'endroit où l'on couche et le lieu de travail.
Sur ce plan il faut distinguer deux périodes :
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L'organisation communautaire de la vie rurale qui avait imposé le groupement des habitations au centre du territoire, au sommet de la colline, a continué à exercer son influence pendant tout le XIXe siècle et pratiquement jusqu'à la première guerre mondiale. Le système des roies et le morcellement des terres qui en est résulté, l'usage de la vaine pâture avec son berger communal qui a persisté jusqu'en 1905, ont empêché l'installation de nouvelles maisons hors des quelques "creux" laissés dans l'alignement formé par les façades accolées. On sait que, pour économiser le terrain, la demeure rurale comprenait à côté de la maison d'habitation étirée en profondeur sur une seule largeur de pièce (ce qui contraignait souvent à laisser une chambre obscure "l'entrefends" entre la pièce de devant et celle de derrière), l'étable à laquelle on accédait de l'intérieur pour mieux surveiller les animaux, sans être obligé de sortir la nuit, et au-delà la grange. Chez les manouvriers qui ne possédaient que peu d'animaux, une vache et quelques moutons, l'étable servait aussi de grange. On accédait au jardin par l'intérieur de la maison.
Tant que ce furent les petits paysans qui ajoutèrent à leur faible activité agricole des travaux de clouterie, l'adaptation des maisons aux nouvelles activités fut facile. Mais quand le moulin de Saint-Marceau devint une clouterie industrielle et attira des ouvriers extérieurs au village, quelques rares maisons furent construites comme indiqué plus haut, mais surtout les anciennes étables ou granges furent aménagées. La comparaison entre le cadastre de 1840 et l'actuel montre de nombreuses modifications dans la superficie des demeures, si leur situation locale reste inchangée. Ceci explique et le nombre des artisans maçons et la difficulté à repérer les nouveaux arrivants travaillant dans ou hors la commune, et qui semblent avoir été logés plutôt mal que bien. On a vu qu'en 1872 il y avait 55 Belges habitant Saint-Marceau. La population du village était alors de 403 personnes contre 357 six années plus tôt et une seule maison avait été construite entre temps. Et parmi les 92 maisons habitées il y avait 38 locataires. Tout cela indique une sur occupation des maisons, en particulier par les 55 Belges, dont près de la moitié étaient des hommes seuls. Sur les 348 Français, qui constituaient le reste des habitants, seuls 5 étaient nés hors des Ardennes. Il est bien évident que le mode de vie de ces locataires, entassés dans des maisons étroites, n'était pas comparable à celui des anciennes familles, qui trouvaient dans leur jardin et dans leurs relations une aide matérielle et affective. Ce n'est pas l'éloignement du lieu de travail, mais les conditions de vie en-dehors du travail qui justifient le qualificatif de commune-dortoir.
A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l'évolution du village se poursuivit dans le même sens, mais avec lenteur. Au recensement de 1921, on retrouve cultivateurs, cloutiers et ferronniers et seulement quelques nouveaux métiers, comme employé de bureau ou peintre. Et, bien que les contraintes agricoles n'aient plus empêché l'extension des habitations hors du périmètre primitif, que des échanges volontaires de parcelles entre les propriétaires fonciers aient permis un certain remembrement des terres, le village restait toujours concentré entre ses quelques rues. Et 4 maisons seulement furent construites de 1915 à 1948. Car l'équipement des villages était très en retard sur celui des villes. Ce n'est que vers 1923 que l'électricité remplaça à Saint-Marceau les lampes à pétrole et la fameuse petite lampe Pigeon, qui avait l'avantage de ne pas exiger le long manchon en verre si fragile. Et il faudra attendre 1964 pour que l'eau puisée dans les alluvions de la Meuse arrive aux robinets des maisons. Jusque-là, en dehors de quelques puits individuels, l'eau potable devait être cherchée aux deux puits communaux.
- 2 -
C'est alors seulement qu'un ménage d'instituteurs fit construire sa demeure à une sortie du village, mais à l'écart du groupement des habitations, donnant le branle à un type d'habitat très différent de celui du vieux village. Au lieu de maisons aliénées en rues, au bord de parcelles de terrains étroites, les nouvelles constructions, en ordre dispersé, sont situées au centre de parcelles plus massives. Les rues du village, avant de déboucher dans les champs, se sont peu à peu entourées de ces demeures, plus ou moins importantes, de type pavillonnaire.
Les initiatives individuelles du début, liées à l'acquisition de clos, vergers ou petits prés, reliquats des domaines d'activité des anciens manouvriers furent accompagnées et relancées par l'organisation d'un lotissement sur un terrain communal.
Le village reste groupé au sommet de la colline, mais sa superficie a en gros triplé. Et le noyau du vieux village se distingue très nettement des prolongements récents. Les maisons anciennes, en pierres taillées dites de "Dom", ce calcaire oolithique, dont une carrière se trouvait à Saint-Marceau même sont d'un appareillage simple, mais présentant, surtout pour certaines d'entre elles construites à la fin de l'Empire, des bandeaux, des encadrements de fenêtres et des dessus de porte, qui leur donnent une certaine élégance. Au fil des ans, les toits d'ardoises ont été remplacés par des couvertures en tuiles. Elles comportent généralement une cave voûtée, un étage et un grenier, dont le volume utile est assez important en raison de la profondeur des maisons.
Les maisons nouvelles, par raison d'économie et par suite de la fermeture des carrières, sont en parpaings recouverts d'un crépi. Les toitures sont en général en tuiles de terre cuite ou de béton. Elles comportent un sous-sol à moitié dégagé, servant de garage et de cave. Elles n'ont aucun rapport avec le style régional.
Sur les 148 maisons de 1990. 73 ont été construites depuis 1964, soit pratiquement la moitié. Leurs occupants ont nettement accru la variété des professions représentées au village. C'est ainsi qu'en ne tenant compte que du métier du mari (dans moins de 10 des ménages, la femme n'a pas de profession), les 129 chefs de famille ayant leur domicile principal à Saint-Marceau se répartissent ainsi :
34 ouvriers
3 artisans
28 retraités
5 sont dans l'Enseignement
18 employés
4 fonctionnaires
16 cadres ou techniciens
3 commerciaux
7 appartiennent à des professions de santé
3 agriculteurs
6 dirigeants de sociétés
2 en chômage.
Si la différence entre les deux types de maison est grande, il n'y a à première vue guère de corrélation entre l'activité professionnelle et l'habitat. Ouvriers, employés et cadres se trouvent aussi bien dans le vieux village que dans le lotissement ou dans les maisons dispersées. Cependant, quand on examine individuellement les situations, on s'aperçoit que dans le vieux village, les cadres ont occupé les maisons qui, quoique sur rue, ont néanmoins un jardin sur trois côtés. Le désir d'être séparé de ses voisins par un espace de verdure, même petit, semble être le principal critère de choix du type d'habitat, compte tenu de ses possibilités financières. Des habitants du vieux village, ayant arrangé au mieux leur demeure, n’ont pas hésité à la quitter pour une maison isolée devenue libre. Et si, en même temps que se construisaient aux sorties du village les nouvelles demeures, des bâtisses abandonnées ont été rénovées dans le vieux village, c'était soit à cause de la faiblesse relative de l'investissement, soit parce que leur situation permettait la création d'un petit espace libre autour.
La localisation des 28 retraités nous renseigne encore davantage sur l'évolution du village. Ceux-ci, comme il apparaît logique, habitent en majorité dans le vieux village, soit 17. Mais sur ces 17, 12 seulement appartiennent à des familles qui vivaient à Saint-Marceau avant la dernière guerre mondiale. Et, sur les 11 retraités qui se sont fait construire une maison isolée depuis 1964, seuls 3 appartiennent à des familles résidant auparavant dans le vieux village. C'est-à-dire que presque la moitié des retraités actuels sont de nouveaux arrivants.
Sans doute existe-t-il des raisons générales à cette évolution. La diminution des familles adonnées à l'agriculture, plus stables par nature, et ayant en général une structure familiale plus apte au maintien des personnes âgées : la disparition de tous les commerces locaux : la boulangerie a fermé à la déclaration de guerre en 1939, les deux petites épiceries ont duré jusque vers 1970, le café a résisté jusqu’ en 1973 ; l’éloignement de l’hôpital. Ces raisons sont moins valables pour les familles qui ont fait construire récemment, plus adaptées à un mode de vie lié à la voiture. Mais ce ne sont presque tous que de jeunes retraités. Auront-ils la même tendance à quitter le village que les anciens habitants ?
A en juger par le comportement de l'ensemble des habitants ces dernières années, les probabilités vont dans ce sens. Les conditions d'accession à la propriété par l'intermédiaire du lotissement ont séduit les ménages jeunes. Pour la grande majorité le mari au moment de la construction en 1979-1980, avait moins de 35 ans ; les familles ont 2,4 enfants en moyenne, et à trois exceptions prés, la femme travaille. Or, sur les 30 maisons du lotissement, il y a encore une dizaine d’années, déjà 6 changements d’occupants, soit 20%. Si la provenance des habitants du lotissement et des maisons isolées est la même (83% viennent de Charleville-Mézières, 13% des villages voisins, 4% d’autres départements), les constructeurs de maisons isolées étaient en général plus âgés quand ils décidèrent de s’installer à Saint-Marceau. On pourrait penser que leur choix n’était pas seulement de trouver un logement temporaire. Or la proportion des changements d’occupants dans cette catégorie d’habitants est quand même de 24 % sur une période d’une vingtaine d'années.
Les changements ont été naturellement encore plus fréquents dans le vieux village où l'habitat moins adapté à la vie actuelle attire seulement les gens à la recherche d’un logement rapidement disponible. Une bonne vingtaine en une douzaine d'années sur 57 logements.
C'est ainsi que 51% des habitants en 1990 ne résidaient au village que depuis une dizaine d’années. La proportion monte à 80% pour les arrivants depuis 1965, Et il n'y a plus que 18 familles descendantes de 7 habitants de 1840, soit un peu plus de 5% des villageois de l'époque. C'est la guerre de 1914-1918 qui entraîna le premier grand départ des familles anciennes. 30 d’entre elles disparurent de Saint-Marceau entre les recensements de 1911 et de 1921. Et à cette date, la population n'était plus que de 340 habitants.
Une telle constatation est sans doute assez générale dans les villages périurbains. Mais ce qui est moins fréquent, c'est que ce renouvellement général des habitants s’est fait sans que le cadre rural ait été modifié. La superficie du village s'est un peu agrandie, mais les maisons sont restées groupée au sommet de la colline, et champs, pâtures, vergers et jardins constituent encore 435 hectares sur les 480 de la superficie totale. Dans le mode d'habitat qui s'est installe àSaint-Marceau, il faut donc faire la part des influences urbaines dues aux nouveaux arrivants, et des contraintes et habitudes de la vie rurale.
Si l'environnement des prés et des champs jusqu'aux bords du village est caractéristique, il est non moins évident que la contemplation du paysage, la recherche de la vue ne sont pas la motivation des nouveaux habitants. Le plan du lotissement a été conçu de façon que les maisons ouvrent vers l'intérieur. Et autour des maisons isolées, les haies de thuyas isolent des voisins, mais aussi du paysage. Haies de thuyas ou de conifères, car le campagnard n'aime les arbres à feuilles caduques que dans les forêts, loin de sa maison, les feuilles obturant les gouttières. Seules quelques parcelles plus importantes ont conservé quelques restes des vergers anciens. La disparition de haies qui entouraient d'anciennes pâtures, due à l'accroissement des cultures céréalières et favorisée par le remembrement, a livré les maisons du lotissement et celles qui l'entourent, situées sur une sorte de crête entre deux versants de vallées, aux vents d'ouest parfois violents qui débouchent de la Vence.
Il n'en reste pas moins que l'environnement est plaisant, que l'espace est suffisant pour éviter la promiscuité des appartements de ville et le bruit des voisins. Et l'influence campagnarde se marque dans les soins portés aux jardins. Tous les habitants du lotissement entretiennent des fleurs et un quart d'entre eux cultivent aussi des légumes. La situation est sensiblement la même chez les occupants des maisons dispersées, la proportion des potagers étant légèrement plus importante, sans doute en raison de la superficie plus grande des parcelles, mais aussi peut-être signe d'une acclimatation au pays plus poussée chez des personnes plus âgées.
Dans le vieux village, l'entassement des maisons fait qu'un bon quart n'a pas de jardin attenant. Quelques anciens ont conservé un clos à une sortie du village. Et la tradition rurale est encore telle que, même pour une population dont on a vu qu'elle s'était profondément renouvelée ces vingt dernières années, celle-ci cultive des légumes dans 69 % des jardins subsistants.
L'apport urbain, il réside essentiellement dans la voirie. Les ornières et les trous faits dans les rues du vieux village par les charrois agricoles et les camions de livraison étaient périodiquement rebouchés à la demande, mais celles-ci restaient boueuses à la moindre pluie. Ce n'est qu'en 1982 après l'établissement des voies goudronnées du lotissement, bordées de trottoirs, qu'un traitement analogue fut appliqué à la grand rue, puis poursuivi. Détail, mais qui a son importance, l'étroitesse dans certains passages des rues, n'a pas permis l'établissement de trottoirs surélevés. Mais, comme les seuils des maisons anciennes sont souvent à ras de chaussée et que celle-ci a été surélevée par les réfections successives, il a fallu creuser un caniveau-pour l'écoulement des eaux de pluie, qui permette une légère remontée de la chaussée jusqu'aux seuils des maisons.
Un autre avantage des maisons nouvelles surélevées, c'est le garage en demi-sous-sol, qui laisse libres les voies du lotissement, tandis que dans le vieux village, il n'y a guère de garages en dehors de quelques granges ; les bas-côtés des rues sont insuffisants dès qu'une fête entraîne le moindre rassemblement de voitures.
Il ne faut pas négliger enfin l'effet d'entraînement produit par les nouvelles constructions et les travaux de voirie sur les propriétaires du vieux village. En particulier, le nettoyage des façades a donné à ces maisons simples un cachet particulier. Et devant elles, quand cela est possible, d'étroites plates-bandes de fleurs sont comme un signe des influences rurales et urbaines qui se sont harmonisées à Saint-Marceau.
Ainsi en 150 ans, un village enraciné sur son sol par une organisation communautaire est devenu un lieu où les familles en activité professionnelle trouvent un habitat adapté à leurs besoins et leurs désirs. Cette évolution doit-elle conduire à un renouvellement permanent de la population ?
L'historien ne peut répondre à cette question. Il constate seulement que la qualité de l'habitat repose sur le maintien d'un environnement strictement rural. Et il peut estimer qu'un renouvellement trop fréquent de la population finirait par peser aussi sur cette qualité. Le maintien des familles au village repose donc aussi sur l'organisation d'une vie communautaire adaptée aux modes de vie actuels.