Né en 1911, Monsieur Claude RENAUDIN venait, avec ses parents, passer habituellement 3 mois à St-Marceau, les 3 mois des vacances scolaires de l’époque. Ces séjours se situent évidemment après la guerre 14/18. Voici son témoignage
1. Souvenirs de la vie au village :
J’ai l’impression qu’avant 1955, la vie du village était une vie à « l’ancienne » :
Habitations ouvertes sur la rue, personnes assises en été sur le seuil, gens circulant à pied, allant chercher de l’eau aux puits. J’ai le souvenir du bruit du puits situé près de l’église, grincement qui n’était pas désagréable et qu’on percevait bien. On entendait les coqs, les poules, les vaches, il y avait davantage de bruit, c’était beaucoup plus vivant.
Remarque concernant les puits : les gens buvaient cette eau issue de la nappe située entre la marne étanche et la couche calcaire, or, les fosses à purin non étanches, les fumiers, voisinaient ces puits, de même les cabinets du château évacuaient dans une fosse qui, après avoir été vidangée un certain temps, se vidait naturellement. Il en était certainement ainsi pour la plupart des maisons. Je pense que nous avons eu de la chance dans le village de ne pas avoir eu d’accident pour avoir bu l’eau des puits.
Au château, nous avions l’eau courante parce qu’il y avait un bélier : c’est un appareil installé sur une fosse de 10 à 12 mètres. On l’appelait le « toc-toc », c’était le bruit de la soupape qui envoyait l’eau dans les tuyaux jusqu’à une cuve en ciment. Il fallait souvent réamorcer le bélier.
Les déplacements, hors du village, se faisaient à pied ou en carriole (par exemple celle du cultivateur du château), les voitures sont arrivées bien après. Le train nous déposait à Boulzicourt ou à La Francheville. La gare de Boulzicourt était importante, avec un trafic de marchandises sérieux. Je ne sais plus s’il y avait un changement à Reims et si l’omnibus s’arrêtait à Boulzicourt, je me rappelle qu’il y avait un arrêt à Amagne-Lucquy. Mon père m’envoyait souvent à la poste de Boulzicourt, pour la levée de 3 heures, et je passais par la « traverse ». La suppression de la traverse est due au remembrement en 1973.
La côte s’appelait la ruelle des Coreaux, elle a été un peu adoucie, je me rappelle qu’on pouvait monter à bicyclette jusqu’à un certain point, et puis après ..! Elle était entourée de pommiers qui n’étaient pas exploités et qui faisaient la joie des enfants, de moi en particulier.
On n’allait jamais en voiture d’une partie du village à une autre. Les épiceries étaient sur place et la vie était plus calme. Les jeunes ne se rendent pas compte que la vie était radicalement différente.
La vie communautaire était favorisée par le fait que le village était beaucoup plus resserré, il y avait peu de maisons à l’extérieur, et à cause des habitudes issues d’une vie communale associative et coopérative, de l’utilisation jusqu’en 1905 d’un troupeau communal et de l’adoption du système des royes ou assolements, tout le monde travaillait l’avoine, le blé ou la jachère au même endroit. Les Sarts étaient à la disposition des habitants de Saint-Marceau, ce qui était très important pour la vie communautaire.
Toutes les maisons du village étaient des maisons agricoles d’autrefois, avec la grange à côté. On passait directement de l’habitation à la grange ou à l’étable. La pièce où on couchait était souvent une pièce obscure, et, pour aller dans le jardin, il fallait la plupart du temps passer par la maison. Ces maisons étaient adaptées à la vie agricole, mais pas à celle des travailleurs. Il a donc fallu par la suite adapter souvent les habitations et les granges.
L’agriculture occupait, au début du 20ème siècle, une place importante dans la commune : il y avait les Bertrand, qui tenaient la ferme du château, les Poncelet, les Agon, les Rondeaux, les Noiret. Monsieur Simioni père avait également une petite exploitation. Mon père a constitué une ferme pour Monsieur Dehut quand celui-ci est revenu de la guerre en 1920, sur une partie des terres exploitées par Monsieur Bertrand et en rachetant les terres de Monsieur Camus.
Ce qui m’avait frappé, c’était la remontée (la descente, je ne la voyais pas) des cloutiers. On entendait la sirène et on voyait tous les gens remonter de l’usine « d’en bas ». A une certaine époque, beaucoup de belges sont venus travailler à la clouterie. Les gens qui travaillaient à la clouterie habitaient plutôt dans la rue Basse.
Les tisserands et les cloutiers occupaient le village au siècle précédent (19ème). Il y avait un seul marchand cloutier qui ramassait à domicile le travail des gens. Les tisserands travaillaient pour les manufactures de Sedan. (Il faudrait retrouver un métier à tisser ou au moins un dessin).
Au début du 20ème siècle, beaucoup de manouvriers et journaliers habitaient le village. Ils se louaient pour les moissons ou le « bûcheronnage ».
Avant l’arrivée de l’électricité, j’ai le souvenir d’être monté plusieurs fois dans ma chambre avec la lampe pigeon, mais le plus souvent dans l’obscurité, parce que mes parents trouvaient que les grandes lampes à pétrole étaient dangereuses.
Au début du 20ème siècle, la cuisinière marchait toute la journée, les poêles Godin à feu continu sont apparus plus tard.
La disparition du café de M Longuet, de l’épicerie de Mme Blanche, de l’épicerie de Madame Richard ont été des faits marquants dans la vie du village. La boulangerie Machurot a disparu avant la guerre de 1940. Elle était à la place de la maison de Monsieur Moyen, avec 4 ou 5 marches pour accéder au magasin. J’ai juste aperçu l’ouverture de la cave, qui est en dehors de la construction de l’ancienne boulangerie, lors des travaux de réfection de la route, mais il ne faut pas oublier que l’endroit, situé en-dessous, dans le prolongement de la boulangerie, s’appelle « Vieux-Maisons », on y a certainement construit des habitations.
Le gros changement, ce fut aussi, dans les années 1950, l’arrivée du premier tracteur. Ce tracteur, acheté par les Barbier, avait été vendu par les établissements Heker de Normandie, dont le dirigeant était de la famille de Madame Renaudin.
A la ferme Barbier, quand nous nous sommes mariés, en 1946, vivaient 10 ouvriers agricoles et quatre ménages au moins : les parents Barbier, Edouard et sa femme, les Lavoisier et un prisonnier allemand qui avait fait venir sa femme. Ils faisaient le beurre, ils faisaient le pain … ils faisaient tout. On battait le blé pendant l’hiver. Il me semble qu’il y avait six chevaux, mais pas de bœufs.
Et puis, beaucoup de gens allaient glaner. Les betteraves, ce n’était pas drôle, il fallait les biner à la main pendant l’automne, quand il commençait à faire froid.
A l’église, les femmes portaient un chapeau ou un châle, elles devaient être couvertes, cela a duré jusque bien après la guerre. Dès qu’elles étaient un peu âgées, elles s’habillaient en noir. Les enfants avaient leur tablier d’écolier. Les hommes portaient aux pieds des demi-sabots avec une languette de cuir au dessus : les étables n’étaient pas tellement bien tenues et les chaussures n’auraient pas été adéquates, on laissait les sabots à l’entrée de la maison.
Les bottes en plastique sont apparues autour de l’année 1930.
Un autre souvenir, ce sont les lessives : il y avait la fontaine que vous connaissez et un autre lavoir, à mi-côte dans les champs. Le puits qui l’alimentait était un peu plus haut que la maison « d’en bas » située face des Jonquettes. Je voyais les femmes remonter, pliées en deux sous le poids de la hotte pleine de linge mouillé.
Les loisirs, c’était le jeu de quilles. On pouvait y jouer chez Longuet, devant chez Rousseau, à Saint Ponce ou à Constantine, et beaucoup de gens jouaient dans la rue.
2. Les origines du village :
A propos de l’origine du village, j’ai déclaré que c’était grâce au défrichement des moines de Thin (Le Moutier) que le village avait été créé. Je me suis fondé sur les documents existants.
Mais on a découvert la statue du Mercure, qui se trouve au musée de Charleville, et M Raulet a découvert des poteries au-dessus de la fontaine. D’autre part, le long de la Vence, existe le lieu-dit « Ham », nom d’origine germanique signifiant la maison, et plus près du village, se trouvait une pâture qui avait pour nom « bourg léger », donc je pense qu’il y a eu une implantation à l’époque franque à cet endroit.
Ce qui m’a toujours frappé, c’est le fait que les Francs, dans la vallée de la Vence, dans la vallée du Thin, de la Sormone se sont toujours installés à mi-pente, pour être à l’abri des inondations, mais pas sur les sommets. Il n’y a pas d’indication qu’il y ait eu autre chose que des habitations dans la vallée.
Je serais très content qu’on détruise mon hypothèse. Il y a toutes les chances que, vers l’an 1000, Saint-Marceau ait été un village regroupé autour de l’église construite par les moines de Thin, mais est-ce qu’il y avait quelque chose avant ?
Peut-être, ce qui me paraît plausible, une implantation franque un peu « spéciale » ?
Il y a deux documents mentionnant le village, d’une part l’inventaire de l’abbaye de Mouzon qui date de 1516 et d’autre part, l’acte de l’archevêque de Reims qui donne les dîmes de Saint Marcel au chanoine de Saint Pierre de Mézières, avec le bois de Florainville. Ce bois devait se trouver, je crois, à la place des Sarts, qui, comme je l’ai déjà dit, étaient à la disposition des habitants de Saint-Marceau, ce qui était très important pour la vie communautaire. Le village a été longtemps solidaire avant les autres. Il avait une vie indépendante du château car il n’y avait pas de dîme seigneuriale, les impôts allaient au chanoine de Saint-Pierre.
3. Le château :
Le premier seigneur de Saint-Marceau, qui était de la région, fut Jean de Saint Marcel. C’était un roturier qui a fini par être seigneur de Villers.
Monsieur Allard de la Glizeule, qui est indiqué comme seigneur de Saint-Marceau, était lieutenant du bailli du Rethélois. Je ne sais pas s’il avait une maison ici, mais ses descendants, également seigneurs de Saint-Marceau, sont devenus seigneurs de La Francheville.
Le premier indice concernant le château vient de Monsieur de Pouilly, qui était seigneur de Saint-Marceau au moment des guerres de religion, et qui a signé une sorte de manifeste pour se défendre contre les réformés de Sedan. Donc il y a toutes les chances pour qu’il ait été propriétaire d’une maison forte à Saint-Marceau à la fin du XVIème siècle. Cette maison forte devait se trouver à la place de la partie haute du château actuel. Les tourelles doivent dater de cette époque.
Il reste la tourelle à l’angle de la rue. D’après le cadastre de 1840, il y en avait une autre au milieu du chemin sous le château, et il en existait une, très probablement, à l’angle de la ruelle des Coreaux.
Donc c’est une construction faite pour se défendre. Meyrac, qui est un historien de la région des Ardennes, dit que le maréchal de Saint-Paul, un sinistre personnage, chef de la ligue, s’est battu à Saint-Marceau qui se trouvait sur le passage des incursions entre Sedan et Mézières : donc cela justifie les tourelles. De Pouilly était tout le temps à la guerre, sa femme était propriétaire des carrières de Dom Le Mesnil.
Il ne semble pas qu’il y ait eu de relation entre le château et les habitants.
La construction, qui existait à la fin du XVIème, a été complétée par un autre propriétaire du château, avec les bâtiments de la partie occidentale vers 1760. Cela a transformé tout le château, car on a retrouvé à l’intérieur une fenêtre, petite et étroite, donnant sur l’intérieur, entre la partie à l’ouest et le bâtiment de 1768. Le château, qui a l’apparence d’un château du XVIIIème, devait être beaucoup plus rustre avant ces travaux. En même temps, on a modifié les communs de droite en les rendant plus agréables. La partie « ferme », où se trouvent les étables, est la plus ancienne et doit dater du XVIème.
Le château a été acheté par le marquis de Wignacourt. Il a fait une transformation considérable, dans le sens où la cour du château était fermée par un bâtiment long ; la cour de ferme, c’était la cour du château. Il a fait construire le bâtiment de ferme actuel, il a transformé les étables pour les ouvrir vers l’ouest. Et il a fait la grange, qui date donc de 1850. La grange, qui allait jusqu’à l’aplomb du château, a été coupée. Elle nous sert actuellement de bûcher. Vers 1900, le marquis de Wignacourt donne le château à sa fille, Madame de Puységur. Elle a revendu le château à mes parents en 1905.
Pendant la guerre de 1914 tout a été pillé, les Allemands y stockaient du fourrage.
En 1944, un obus incendiaire a détruit la partie des communs la plus proche du château, mes parents ont fait refaire la toiture avec des lucarnes semblables à celles de la place Ducale. Après l’incendie de 1967, causé probablement par les couvreurs qui travaillaient sur les tourelles et qui ont mis le feu à des déjections de chouettes (ma mère était présente au château lors de cet incendie), nous avons fait remettre cinq lucarnes. Monsieur Pluet, qui est un des derniers carriers de Dom le Mesnil, a fait les corniches du château avec de la pierre de Dom, après cet incendie. (à noter que le fort des Ayvelles a été construit avec des pierres de Saint-Marceau, il y avait un petit train qui partait des carrières et allait jusqu’au fort).
Monsieur Longuet prétendait qu’il y avait un souterrain dont l’entrée serait à côté de la porte qui donne sur le village (plusieurs personnes prétendent de même qu’il y aurait un souterrain dans le bois de Châtillon à Boulzicourt). Je ne vois pas l’intérêt qu’aurait eu Monsieur Longuet à raconter des bêtises. Est-ce qu’il confond avec la cave qu’on a retrouvée en 1930 ?
Mes parents n’ont jamais habité en permanence à Saint-Marceau, mais j’ai un frère et une sœur qui sont nés ici, c’est le fait du hasard.
Les fermiers du château dont je me souviens sont les suivants :
- Les Bertrand étaient implantés avant la famille Renaudin. M Bertrand a été élu conseiller général de Bouvellemont. Ils sont partis lorsqu’ils sont devenus trop vieux.
- Après ce furent les Spellmans. Quand les allemands ont fait la W.O.L, Spellmans, qui était flamand, fut désigné chef de culture. Cela n’a pas beaucoup plu à tous les autres agriculteurs !
- Après la guerre, est arrivé Edouard Barbier qui avait épousé une fille de Boulzicourt et qui venait de la Somme. Son fils, Michel lui a succédé puis les Buttez et enfin les Bailly.
4. La famille Renaudin :
Mon père était une personne très réservée, mais ma mère avait des relations avec les gens du village : Berthe Agon, Madame Longuet. Mon père était écrivain, ce qui m’a toujours surpris. En été, il s’installait dehors devant une petite machine à écrire d’autrefois et il tapait pendant des heures et des heures. Il a publié chez Plon, chez Blou-et-Gay. Il a écrit une vingtaine de bouquins. Et à la fin de son existence, il écrivait sur les mystiques. J’avais un grand-père, le père de ma mère, qui était académicien. Il était historien, et il n’avait pas les mêmes opinions politiques que son gendre : mon père était considéré comme trop à gauche. Mon grand-père paternel habitait Charleville, il était inspecteur des finances donc sa carrière professionnelle était parisienne. Il a construit à Charleville une maison qu’on appelle « le château Renaudin » et qui fut réquisitionnée par l’armée allemande pour y loger le Kronprinz en 1914. On a conservé longtemps une sorte de maille de ressort qui était installée au dessus de la toiture et qui était censée repousser les bombes. Notre famille était très nombreuse, et on fréquentait chaque dimanche, entre les deux guerres, une ribambelle de cousins. Ils sont pratiquement tous partis des Ardennes. Ils ont fui, les lâches …